Le Pen-Bardella, les secrets d’un pacte (2024)

Depuis que l’ex-candidate à la présidentielle a fait du jeune leader son futur Premier ministre, la dynamique du RN n’a fait que se renforcer. Reste à voir comment le duo tient sur la durée.

Le Pen-Bardella, les secrets d’un pacte (1)

Jules Pecnard

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Marine Le Pen a beaudétester Les Républicains, elle cultive des liens d'amitié avec certains briscards de la droite. L'automne dernier, en plein psychodrame sur la loi immigration, la cheffe des députés frontistes en croise un dans les couloirs de l'Assemblée nationale. Ils papotent, échangent quelques mots sur Jordan Bardella. À plus de trois ans de la prochaine présidentielle, Marine Le Pen a publiquement évoqué l'idée d'en faire son Premier ministre en cas de victoire. En attendant, auprès de son interlocuteur, l'élue du Pasde-Calais se félicite d'avoir fait émerger un jeune poulain énergique, populaire et, surtout, fiable. Cet héritier plausible la réconforte. « On ne sait jamais ce qui peut arriver... Demain, je pourrais me faire percuter par un camion », ajoute-t-elle comme souvent. Le vieux routier LR lui répond par une boutade : « Gare à ce que ce ne soit pas Jordan au volant ! » La fille de Jean-Marie Le Pen lâche un éclat de rire.

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Pour l'heure, aucun accès de traîtrise n'a surgi. « Ça, ce sont les rumeurs bidon lancées depuis "l'aile Madame" de l'Élysée », aime cingler en privé la parlementaire, faisant allusion à Bruno Roger-Petit, proche conseiller d'Emmanuel Macron. Marine Le Pen connaît son Front national illustré, sa galerie de numéros deux impatients et ambitieux, Bruno Mégret, Florian Philippot... Avec Jordan Bardella, aucun risque, assure-t-elle. Leur itinéraire ressemble à une autoroute, aplanie par l'actualité anxiogène et l'impopularité du pouvoir en place. À une semaine des élections européennes, la tête de liste RN de 28 ans est créditée de 32,5% des intentions de vote dans la dernière enquête Elabe réalisée pour La Tribune Dimanche (voir page 6). C'est le double du pronostic pour Valérie Hayer, sa concurrente macroniste. Les deux vedettes du Rassemblement national vont battre l'estrade aujourd'hui à Paris, au Palais des Sports, pour leur dernier meeting de campagne.

Le scrutin du 9 juin dévoilera si, comme cela s'est vu fréquemment pour l'extrême droite en France, la dynamique s'essouffle dans les derniers instants. Elle n'en donne aucun signe. On sait déjà, à tout le moins, que le score nationaliste impressionnera. En 2019, Jordan Bardella recueillait 23,3% des voix, moins d'un point d'avance sur le camp présidentiel. Cinq ans plus tard, la donne a été bouleversée. « Je pense qu'on fera les 30, parie Kévin Pfeffer, député de Moselle et membre de la direction du RN. Nos électeurs connaissent la date du vote, Jordan séduit, et on sent une vraie envie de mettre une raclée à la Macronie. En face, ils sont peu mobilisés. C'est comme le PS en 2014-2015, les soutiens de Macron se demandent à quoi ça sert de voter pour lui par rapport à la suite. » Et le même de rappeler un autre élément projectif qui a joué à plein dans cette séquence : le fameux « ticket » Le Pen-Bardella. « C'était prévu pour ça », avance le trésorier frontiste.

Dans les temps troublés, il faut avoir un Premier ministre qui vous connaisse parfaitement

Marine Le Pen

En janvier, lorsque le duo s'affiche dans les colonnes du Journal du Dimanche, la mise en scène semble un poil téléphonée. Marine Le Pen a soufflé l'info en marge de sa rentrée politique à Beaucaire, pourquoi en faire davantage ? « Les Français doivent savoir qui sera le chef du gouvernement s'ils nous font confiance », dit-elle au JDD, sur un ton martial, mais photographiée tout sourire, assise à gauche d'un président du RN debout, appuyé sur la table, un rien crispé. Ils tentent un format qui, dans l'histoire de la Ve République, a davantage échoué que réussi. Il y a le fiasco de la présidentielle de 1969, où Gaston Defferre s'est présenté en tandem avec Pierre Mendès France. Il y a eu par deux fois Nicolas Sarkozy, d'abord en 2007, lors-qu'il nomme François Fillon à Matignon après en avoir fait un partenaire de campagne, puis en 2016 avec l'hypothèse François Baroin, balayée par la défaite de l'ex-président à la primaire LR. Marine Le Pen elle-même a tenté la manœuvre en 2017, en annonçant à la hâte durant l'entre-deux-tours qu'elle ferait de Nicolas Dupont-Aignan son Premier ministre.

Le « plan Matignon » est prêt

Désormais, celle qui aime les coups tactiques improvisés s'est privée d'une dose de hasard. Le spectre de la dissolution de l'Assemblée, qui pèse lourd sur ce second quinquennat macroniste, a accéléré sa réflexion. En cas de législatives anticipées, un « plan Matignon » - quelques centaines de candidatures prévues dans les circonscriptions favorables au RN - a été ficelé. Il dispose d'un chef de file. « S'agissant de Jordan, j'ai pris ma décision seule, insiste la députée nordiste auprès de La Tribune Dimanche. J'entends l'éternel marronnier sur le besoin d'avoir un Premier ministre "d'ouverture", mais ça, c'est fait pour les temps tranquilles. Dans les temps troublés, il faut avoir un Premier ministre qui vous connaisse parfaitement, qui soit capable de finir vos phrases, pour éviter de perdre du temps. »

La triple candidate à la fonction suprême entend bien se présenter une quatrième fois, sauf accident ou peine d'inéligibilité dans l'affaire des assistants parlementaires européens du FN, jugée en correctionnelle en octobre et novembre. Autant échafauder les choses en amont, quitte à surprendre au sein de sa propre famille. « Un ticket avec Jordan n'aurait pas beaucoup de sens, nous glissait à l'automne un député mariniste en vue. Ce genre de trucs, c'est fait d'abord pour élargir sa majorité. » L'idée de se garder un joker de type Laurent Wauquiez, dont la ligne politique est compatible, sur certains points, avec celle de Marine Le Pen, a traversé l'esprit de quelques caciques du RN. La patronne n'en veut pas. Elle a fait mine de brouiller les pistes jusqu'à l'interview du JDD, martelant qu'elle ne distribuerait « aucun poste » à ses troupes. Aujourd'hui, l'élue d'Hénin-Beaumont estime le sujet clos : « Ça a pu doucher quelques espérances, mais c'est le principe du choix. »

Cinq mois plus tard, force est de constater son succès. « Elle a eu une bonne intuition en mettant sur le marché un produit neuf, sans histoire, reconnaît Olivier Marleix, patron des députés LR. En revanche, je m'in- quiète que la forme - bodybuildée - l'emporte à ce point sur le fond. Sa popularité est effrayante. » À chaque vague sondagière, bien que le phénomène ait démarré dès la fin de l'été, Jordan Bardella a amplifié son assise au sein d'un public d'ordinaire prompt à dénoncer l'inaptitude du parti populiste à gérer le pays. Son patronyme y contribue. Un fidèle de Marine Le Pen nous éclaire : « De la même manière qu'elle a été une porte par rapport à Jean-Marie Le Pen pour des gens qui ne voulaient pas se dédire de leur vote FN, Jordan apporte ça à Marine. Sur le mode "Le Pen, jamais, mais Bardella, pourquoi pas". »

Pour certains de nos électeurs, surtout les plus âgés, le fait que Marine soit une femme reste un facteur bloquant

Un pilier RN

Personnes âgées, catégories urbaines ou favorisées... Hormis chez les retraités aisés, toujours captifs du bloc central et libéral (jugé mieux à même de préserver leurs pensions), le duo fait recette. Le leader du RN élargit le râteau à l'occasion des européennes, moins porteuses d'enjeux qu'une présidentielle et dépourvues de second tour, schéma fatal pour les mouvements protestataires, tandis que Marine Le Pen entretient son socle d'électeurs. L'un lisse, ripoline, conquiert la jeunesse sur TikTok, se montre accommodant avec le patronat tout en tenant un discours identitaire sur l'immigration. Une mélodie que sa garde rapprochée - Pierre-Romain Thionnet, François Paradol, Donatien Véret - maîtrise particulièrement. « Bardella a un niveau comparable à celui de Sarkozy, qui était capable de toutes les contorsions idéologiques », souligne un parlementaire frontiste. La cheffe, elle, lui apporte sa confiance et ses balafres, gages d'expérience.

De leurs échanges privés, rien ne fuite

« Ils se complètent alors qu'ils ont le même programme et les mêmes propositions, c'est un peu irrationnel, reconnaît un pilier lepéniste. Pour certains de nos électeurs, surtout les plus âgés, le fait que Marine soit une femme reste un facteur bloquant. » Les deux se parlent quotidiennement, se voient aux réunions qui se tiennent au siège du RN et à l'Assemblée, mais leurs cercles se touchent peu - hormis des conseillers de premier plan comme Philippe Olivier ou Renaud Labaye. Quant au tandem, « j'appelle ça la boîte noire », résume Jean-Philippe Tanguy, le volubile député de la Somme chargé des questions économiques au parti. Des discussions privées entre Le Pen et Bardella, rien ne fuite. Les temps ont changé depuis 2018, lorsque la rivale d'Emmanuel Macron a fait du directeur de Génération Nation, mouvement de jeunesse frontiste, une tête d'affiche pour les européennes. « Je l'ai vue répéter avec lui avant son premier meeting, celui du 13 janvier 2019, ils ont passé le discours ensemble ligne par ligne, se remémore un poids lourd de la campagne. Marine était sa conseillère en com. »

Leurs rapports se sont considérablement rééquilibrés depuis, mais la prétendante pour 2027 garde la haute main sur le dispositif. « D'ici à la présidentielle, Jordan aura un boulot de DRH », tranche-t-on dans les entourages marinistes, peu soucieux de voir poindre une quelconque rivalité. Le natif de Seine-Saint-Denis lui doit tout, se disent-ils, et, surtout, il n'en a pas l'envie. Le débat télévisé compliqué du 23 mai face à Gabriel Attal, Premier ministre qu'il connaît bien, a permis aux proches de Marine Le Pen de rappeler, sans malveillance, une hiérarchie qui devra persister sur le temps long. Tout comme la fraîcheur du ticket, notamment durant 2025, année vierge de scrutin. La préparation des municipales de 2026 sera capitale. Selon un stratège du RN, le parti sera confronté d'ici là aux antagonismes, non pas entre ses deux figures, mais entre leurs entourages. « Marine a voulu calquer sa personnalité et ses humeurs sur les institutions françaises, poursuit la même source. En imposant Jordan trois ans à l'avance, elle envoie quel message ? Que pour gouverner il vous faut un affidé. Elle ne s'est pas émancipée de la logique boutiquière du parti. »

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